2011-inle geste à l'oeuvre, texte de Dominique De Beir, une mise à jour, coll. Beautés ed. lienart
Une mise à jour ( Août 2010)
trouer, frapper, frotter, griffer, projeter, perforer, inciser, éplucher, brûler, creuser, découper, retourner
...
Tous les moyens sont bons pour introduire de l'accident dans la méthode, par exemple aujourd'hui, strier la surface avec une roulette de couturière en marchant en arrière, un contrôle relatif dans la gestuelle qui suscite des phénomènes inattendus dans le déroulé.
Les outils prolongeant le corps sont un facteur déterminant pour la durée de l'action car ici tout est une question de vitesse, de dé(s)équilibre ou d'instabilité corporelle.
création d'outils : roulettes géantes édentées, poinçons, échelles brique -piques, chaise-perceuse, bobine perforeuse, bâton-boule, râteau-rouleau...
outils à pieds: chaussures à semelles cloutées, chaussures sans talon à semelles formées de tubes gauffroirs, chaussures pour aérer le gazon, chaussures pour écorcer les chataîgnes...
outils récupérés: instruments chirurgicaux, outils de menuiserie, outils de jardinage, outils agricoles, outils de couture, ustensiles de cuisine (le dernier, un hâche-vite des années 50)...
J’ai commencé par utiliser des instruments chirurgicaux, bistouris, scalpels, seringues mais rapidement, j'ai bricolé et inventé mes propres outils en regardant travailler des artisans (ferronniers, orfèvres, dentelliéres, tourneurs) ou même en travaillant à leurs côtés. Leurs outils ont des formes précises et adaptées, et aussi, l’enchainement de leurs gestes appris en vue de produire un objet s’apparente à une sorte de performance.
L’incarnation du savoir dans la forme et dans la matière se rapproche d’un rituel et le travail, qu’il soit artisanal ou artistique, s’enracine dans une certaine sacralité. D’où ma fascination pour les processions religieuses de pâques, en particulier à Palerme où se mélangent de maniére exacerbée le corporel et le sacré.
En 2006, création avec des artisans de Palerme d'outils inspirés des outils de la passion:
tenailles, échelles à 2, 3, 4 jambes, bâton-éponge, bâtons se terminant par une main d'acier,
marteau à bout rond, lances, fouet, 5 griffes en argent ditale , clous à dents avec manches et étuis en bois.
Chaque outil et chaque action sont inextricablement liés au support, la surface qui accueille les coups semble attendre un type d'impact précis. Les papiers de toutes sortes, le carton, le polystyrène portent l'empreinte d'un geste de pression, de contact qui parfois peut entraîner un dessin extrêmement fin ou au contraire une trouée ingrate mais le résultat reste toujours mécanique et archaîque à l'image de l'action rythmée et aléatoire.
En cherchant à débusquer l'épaisseur, le geste révèle l’oeuvre autant qu’il la fragilise et la dissout.
Mardi
Trouer est une sensation
Trouer est une vibration
Trouer est un son
Trouer est une opération
Trouer est un contact
Trouer est une pression
Trouer est une brutalité
Trouer est une destruction
Trouer est une déconstruction
Trouer est un crevé
Trouer est un effondrement
Mercredi
Trouer est une procédure
Trouer est une affaire de temps
Trouer est une libération
Trouer est une emprise corporelle
Trouer est une transformation
Trouer est une mise en péril
Trouer est une mise en dedans
Trouer est une modification
Jeudi
Si nous avions été samedi Trouer aurait été une transplantation cosmique mais aujourd'hui Trouer est un jamais vu
Vendredi
Trouer est une révélation
Trouer est une énigme
Trouer est une position inconfortable
Trouer est une remise en forme
Trouer est une forme de rebellion
Trouer est un besoin salvateur
Samedi
Trouer est un renversement sol-ciel
Dimanche
trouer est un lieu de désastre
Lundi
Trouer est une mise à sac
Trouer est un rituel
Trouer est un geste quotidien
Mardi
Trouer n' est pas rien
Mercredi
trouer est un ordonnancement de jours
Trouer est un remembrement
Trouer est un ébranlement de terrain
Trouer est une fissure au centre
Trouer est un déplacement mécanique
Jeudi
Trouer est un combat à distance
Trouer est un accroc
Vendredi
Trouer est un bol d’air
Trouer est une mise à plat
Trouer est une mise en plan
Trouer est élan
Trouer est un frottement
Trouer est un passage de l'autre côté
Trouer est un début de pénombre
Samedi
récapitulatif
Trouer ne peut pas être un tir à la carabine, une dispersion de graines, une prise de doute, un coup de ficelle, un coup de balai
Trouer est un retournement sur l’endroit
Dimanche
Trouer est une aspérité anormale
Trouer est une mise à jour
Trouer est un démasquage
Trouer est une blessure
Lundi
Trouer est une absence d'angle
Trouer est avant tout une perte de contrôle
Mardi
Je ne comprends pas pourquoi Trouer est une ébullition permanente, un passage à vide et un contre – temps
Mercredi
Trouer est une fracture de dernier instant
Trouer est un spectacle violent
Trouer est une arrivée en terre inconnue
Trouer est un craquement de vertèbres
Trouer est une gifle recto verso
Trouer est un journal de répétition
Trouer est une folie
Trouer est lieu de désastre naturel
Trouer est une agressivité sans nom
Trouer est un creu psychologique
Trouer est une rupture de l’unité
Trouer est un perpétuel recommencement
Trouer est une plongée dans du noir
Trouer est un geste banal
Trouer est un geste premier
Trouer est une prise de position
Trouer est une action
Trouer est une division
Trouer est une attaque des protections
Dimanche
Trouer est une performance
Trouer est un anachronisme
Trouer est un éclat
Trouer est une troisième dimension
Lundi
Trouer est une forme d'indiscrétion
Trouer est un retour aux sources
Trouer est une activité à part entiere
Trouer est une direction à suivre sans hesiter
Trouer est une gestion du chaos
Trouer est une pulverisation cosmique
Trouer est un passage à vide
Trouer est un trop plein à expulser
Trouer est une fascination pour l'autre côté
Trouer est une gesticulation en arriére-plan
Trouer est un retournement des sens
Mardi
Trouer est une démangeaison de la surface
extraits de notes d'atelier
Mars 2000
...dix dessins en cours, taille variant de 2,5 m x 2 m x 1, 5 m, plus le format est allongé, plus le regard glisse du haut vers le bas, du bas vers le haut;
pourtant ce sont davantage les côtés, les bords qui sont travaillés
traits de couleurs interrompus par une borne fictive, arrêt brutal sur un blanc
ce qu'il faut avant tout, un rythme qui déborde, se projette à l'extèrieur de la feuille
ryhme, cadence, des arrêts , des bouts..
une trentaine d'études effectuées au préalable
commencer...
ne pas faire une peinture plate
mais profondeur, superposition de plans
éviter la fenêtre comme sortie, la perspective comme évacuation
intervalle
dépassement
coure
vite, très vite, éviter de trop réfléchir, utiliser tous les matèriaux à ma portée
coton tige, sopalin mis en boule, éponge, couvercle de pot de conserve, seringue (piqûre )injection, pastel, crayon de couleur et gouache carmin
prolonger la main, déformer le pied..
ne pas se poser la question de l'équilibre ni celle du déséquilibe
éviter une forme fermée
trouver une forme coupante, hâchée
affirmer le vocabulaire des signes qui sont propres à DDB
de l'air, de la non-figure, peut-être du faux paysage, des mariages impossibles, des rencontres improvisées, des carrefours
de la rigueur dans tout ce chaos
surtout pas un tableau, mais un passage, un fragment, un extrait, un essai, un vif vite
pas de volontarisme, pas de sentiment, un trait pour sa puissance
travailler au mur, sur le sol, en faisant chevaucher deux feuilles, trois feuilles,
s'arrêter quand il faut, s'arrêter presque quand on est en train, éviter la composition, l'ajustement
un trait qui traite du dessin qui n'est pas là, un dessin hors bord, un dessin qui se déplace, un dessins d'aplats profonds, un dessins de couleurs en traits...
Mars 2009
...
Les choses que je fais en ce moment ne trouvent pas une nomination précise, mais je peux au moins dire qu'elles ressemblent à des éléments de construction. Ce sont des plans d'épaisseur variable que je déplie et que j'agence, en quelque sorte une logique de l'épuisement et de la soustraction, trouver une organisation à un ordre qui se serait perdu
En regardant cet amas de cartons éventrés, de polystyrènes striés, comment ne pas avouer que je dois beaucoup au trou et à l'acte de percer.
Un événement personnel datant de 1994 a été déclencheur de ce processus qui se développe toujours aujourd'hui. Cette année là, mon père a perdu la vue et nous avons essayé d’apprendre ensemble le braille.
C’est à cette période, qu’un champ d’action s’est offert à moi, avec
un stylet, j’ai commencé à recouvrir des cahiers de perforations, une
écriture étrangère pour les yeux et les doigts...
Plus qu'un geste opérant une blessure, cette attaque radicale correspond d'abord à un exutoire calmant,
une litanie agitée.Trouer signifie avant tout regarder autrement, agir dans les strates et les sensations de
la profondeur. Réalisées de manière pulsionnelle, ces actions "appel d'air" envahissent et creusent la
surface de manière éclatée, la matière se déplace et rend visible des effleurements, des grouillements,
des absences. Parfois, ce sont des zones de chocs et parfois des cimetières de microbes.
Les marques portées sur ces surfaces sont la représentation de mes outils en action qui'mpliquent pour
chacun une mise en oeuvre particulière.
Ce sont les phénomènes d'apparition qui me préoccupe plus que le matériau lui - même.
L'ensemble garde obstinément un aspect dépouillé, simple, une forme de post minimalisme romantique.
Ma lutte avec l'image reste constante, elle n'a de réelle incarnation qu'en chute libre.
La couleur arrive elle aussi comme une adversité. Jusqu' a présent, elle s'introduisait par effraction dans les matériaux,
un carbone bleu-nuit, un polystyrène saumoné, un aluminium brillant, un papier jauni par la cire d'abeille.
Aujourd'hui, je l'affronte de plein fouet, je l'utilise comme un habillage du support, une strate supplémentaire à éplucher.
Bridget Riley, Mary Heilmann, les paysages du hâble d'Ault ne sont pas pour rien dans cette aventure...
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